Dès la première carte projetée, le décor est planté : les Pyrénées forment un vaste ensemble pris en étau entre littoraux attractifs et grandes métropoles. Devant cette carte des ruralités françaises, le géographe Philippe Estèbe rappelle qu’il s’agit d’un espace où « les villes de piémont jouent un rôle décisif » et où l’on compte chaque jour des dizaines de milliers d’actifs qui sortent du massif pour aller travailler.
Des Pyrénées unies par des ressources communes
Enseignante-chercheuse à l’Université Toulouse Jean-Jaurès, spécialiste en dynamiques rurales et développement local, Laurence Barthe insiste sur ce qui fait l’unité profonde de ces montagnes : des « ressources fixes », non délocalisables – eau, biodiversité, énergie, espaces non artificialisés – qui constituent autant de « communs à aménager et à protéger ». Elle rappelle aussi la force des liens entre habitants et écosystèmes, dont le pastoralisme demeure un emblème, et la richesse des cultures pyrénéennes : fêtes, carnavals, créations qui « réinterprètent le patrimoine » et nourrissent un fort sentiment d’appartenance.
Mais ce territoire est traversé de vulnérabilités. Sociales d’abord, avec le risque d’exclusion et de pauvreté ; économiques ensuite, tant « un système d’activités peut être bousculé du jour au lendemain » ; écologiques enfin, avec la pression sur l’eau, la forêt, la neige. Les Pyrénées, résume la chercheuse, sont devenues des « territoires directement exposés aux grands déséquilibres de la planète ».
Un massif stratégique pour demain
À l’échelle de la France, les géographes rappellent que les Pyrénées forment un espace rural à part, avec un niveau de qualité des milieux naturels supérieur à la moyenne, des façons singulières d’exploiter les ressources et une forte capacité d’accueil. Pour Philippe Estèbe, le massif est « un de ces lieux où s’inventent de nouvelles modalités de rapport entre hommes, nature, paysages, ressources et actifs », là où se testent concrètement les transitions écologiques, énergétiques et sociales.
Les stations de montagne, repères à réinventer
C’est cette fragilité qu’explore aussi l’atelier consacré à l’avenir des stations de moyenne montagne, animé avec le géographe Pierre Torrente. Pour lui, une remontée mécanique où « le va-et-vient d’un téléphérique est bien plus qu’un équipement touristique » : « il rythme la vie, comme les cloches du village autrefois ». Les stations de ski structurent des sociabilités, des emplois, des imaginaires. Les fermer, prévient-il, serait toucher à l’identité même des vallées. Pour autant, impossible de faire comme si de rien n’était. Pierre Torrente le martèle : structurellement, la station de ski est une activité à haut risque. Elle dépend d’un alignement de paramètres – neige, froid, calendrier des vacances, fréquentation – que personne ne maîtrise, dans un territoire déjà « à fortes contraintes ». Dans ce contexte, explique-t-il, le changement climatique n’est « ni la seule cause, ni un prétexte », mais un « révélateur et un accélérateur » d’un modèle fragile depuis longtemps. La sortie par le haut passe, selon lui, par la polyactivité et l’ancrage territorial. « Pour aider une station de ski, il faut installer des agriculteurs », lance-t-il, plaidant pour une agriculture d’excellence, des circuits courts, un artisanat et une industrie de montagne à haute valeur ajoutée. Plus on renforce ces activités, « plus on laisse une chance aux stations de rester » sans tout miser sur quelques semaines de neige.
De la plénière aux ateliers, une même conviction traverse cette édition de Pyréneo : l’avenir du massif ne se jouera ni dans la nostalgie, ni dans le renoncement, mais dans la capacité des Pyrénéens à inventer, ensemble, de nouveaux équilibres entre économie, écologie et qualité de vie. Des thèmes qui seront l’an prochain abordées en Ariège, puisque la station d’Ax-les-Thermes sera l’hôte de la prochaine édition de Pyrénéo, en novembre 2026.
Valérie Ravinet
Sur la photo : les 13 et 14 novembre, le rendez-vous annuel des acteurs du massif, Pyréneo, a accueilli à Limoux et Quillan près de 500 participants – Crédits : Raphaël Kann
Pyréneo est le grand rendez-vous annuel des acteurs pyrénéens, né de l’initiative conjointe de l’Agence des Pyrénées et de l’association Agora Pyrénées. L’événement vise à développer la notoriété du massif, valoriser les démarches innovantes et animer un réseau d’acteurs publics et privés sur l’ensemble des Pyrénées. Pendant deux jours, élus, entreprises, associations, chercheurs et citoyens s’y retrouvent pour débattre des grands enjeux de transition et de développement du territoire.
Tables rondes, ateliers, visites d’initiatives locales permettent de croiser les expériences et de faire émerger des projets concrets. Les Trophées Pyréneo prolongent cette dynamique en mettant chaque année à l’honneur les entreprises et organisations qui, par leurs produits, leurs services ou leurs engagements, contribuent à la promotion de l’image des Pyrénées, à l’innovation et à la préservation de l’environnement. Ces trophées offrent une vitrine aux « forces vives » pyrénéennes et donnent à voir, très concrètement, comment le territoire se réinvente.
