La Commission européenne vient d’acter, par le paquet « Omnibus », un report de deux ans de la directive CSRD, qui fixe les obligations des entreprises en matière de reporting extra-financier. Une mission attribuée aux commissaires aux comptes.
Le "tsunami règlementaire en faveur de la durabilité", annoncé il y a quelques mois, n’arrivera pas. Concrètement, que reste-t-il à ce jour de la directive CSRD ?
La décision décale l’entrée en vigueur du dispositif de deux ans pour les entreprises dites de la Vague 2 - celles qui devaient entrer dans le dispositif en 2025 pour une publication en 2026 - et, surtout, elle pourrait réduire considérablement le nombre d’entreprises concernées. À l’échelle européenne, 50.000 sociétés étaient visées par la CSRD. Si la future directive « contenu » est adoptée avec les propositions faites par l’UE fin février dans le Paquet Omnibus, 90 % d’entre elles seraient exemptées ; seuls les très grands groupes seraient encore tenus d’établir un rapport de durabilité et de publier leurs données extra-financières. Personnellement, j’avais quatre clients qui devaient basculer en 2026 ; pour le moment, plus aucun n’est concerné.
En outre, la Commission européenne doit encore se pencher sur le fond : le contenu du rapport de durabilité pourrait lui aussi être considérablement allégé.
Pourquoi un tel revirement de la part de la Commission européenne ?
Ces derniers temps, la pression autour de la compétitivité s’est accentuée. Outre l’inquiétude qui règne depuis les élections américaines, les récents rapports Draghi et Letta ont pesé lourd dans la balance. Ils disent : l’Europe est trop chargée en réglementations, elle décroche face à la Chine et aux États-Unis. Le reporting de durabilité est devenu un bouc émissaire.
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Vous dites qu’un vent d’hostilité soufflait ces derniers temps contre la CSRD. Les chefs d’entreprises en veulent aux commissaires aux comptes ?
Non. Ils ne sont pas nos ennemis et ils ne sont pas non plus hostiles à la durabilité : ils rejettent la surcharge administrative, ce qui se comprend. À mon avis, la barre de la CSRD a été mise trop haut, trop vite. Il aurait fallu cadencer une montée en puissance progressive, avec des critères évolutifs qui auraient permis de la souplesse. Comme le cadre est hyper rigide, on n’a pas tellement le choix que de tout casser.
C’est malheureux, parce qu’on risque de finir avec un dispositif complètement vidé de sa substance. Par exemple, au lieu de maîtriser les performances extra-financières de toute sa chaîne de valeur comme ce qui était prévu initialement, un grand groupe pourra désormais se contenter de contrôler le premier rang de ses fournisseurs ; il n’aura plus à se préoccuper de savoir si eux-mêmes font appel à des sous-traitants, vertueux ou non en matière de durabilité.
Quel est l’impact de cette décision sur votre profession ?
Notre image en prend un coup. Nous sommes parfois perçus comme des freins à la compétitivité ; au contraire, la CSRD nous avait permis de devenir les premiers alliés de la durabilité. C’est une grosse déception pour les jeunes professionnels, qui ont embrassé le métier en étant très motivés par cette nouvelle dimension, et qui ne mettront pas en pratique ce qu’ils ont appris. C’est dur aussi pour ceux qui se sont beaucoup investis. Ils sont nombreux : rien qu’à Toulouse, plus d’une centaine d’auditeurs, sur les 389 inscrits à la Compagnie, ont suivi la formation CSRD ; on parle, quand même, d’un investissement de 90 heures sur un an.
Faut-il opposer compétitivité et durabilité ?
Pour moi, c’est une erreur fondamentale : il ne peut y avoir de la compétitivité sans durabilité aujourd’hui. La durabilité est fondamentale, elle est un outil stratégique, un levier, pas une contrainte. Et en conclusion, je dirais surtout que simplifier ne veut pas dire déréguler. Il faut poser un cadre clair, adapté, mais sans renoncer à l’ambition. Ce « stop the clock » doit nous permettre de remettre les choses à plat.
Marie-Dominique Lacour
Photo : Philippe Gandon, président de la Compagnie régionale des commissaires aux comptes (CRCC) de Toulouse. Crédit : CRCC de Toulouse.