La voiture autonome : entre enthousiasme et réticence

par Lars Meyer-Waarden, Toulouse School of Management

L’annonce récente d’Amazon de lancer des véhicules autonomes et de pénétrer le marché de l’automobile n’est pas passé inaperçue dans le secteur automobile et risque de bousculer le marché. À côté de Tesla le leader, Google-Waymo et Uber, il y aura un troisième constructeur de véhicules autonomes issu du secteur du Hi-Tech et non pas du domaine automobile.

Les voitures semi autonomes de niveau 3 sont disponibles sur le marché européen depuis 2022 avec la Mercedes Classe S en premier. Le conducteur a la possibilité de lâcher le volant et les pédales dans certaines situations de conduites, sur l’autoroute notamment. Pour la première fois, le conducteur peut s’occuper d’autre chose, alors que le véhicule lance automatiquement des manœuvres de dépassement et d’évitement, accélère et freine seul. Le conducteur doit cependant conserver sa vigilance et être en mesure de reprendre les commandes à tout instant. La vraie voiture autonome de niveau 5, sans conducteur, pourra quant à elle fonctionner de manière totalement automatique sur n’importe quelle route et dans n’importe quelles conditions. Il n’y a pas de volant ni de pédales.

Le marché des voitures complètement autonomes est évalué à quelque 750 milliards de dollars d’ici à 2030, avec une croissance mondiale fulgurante de 25 % par an, ce qui représente un marché potentiel de 55 millions de véhicules vendus d’ici 20 ans au niveau mondial (McKinsey & Co. 2016).

Mais, si les producteurs s’enflamment, en proposant des voitures bourrées de capteurs, facilitant ainsi la vie des conducteurs, minimisant les dépenses d’essence, optimisant la conduite, les consommateurs restent sur la réserve, surtout après les accidents mortels de Tesla et Uber. L’intelligence artificielle appliquée au transport soulève de véritables questions législatives, juridiques et surtout éthiques. De la certification des algorithmes de machine learning à la responsabilité juridique en cas d’accident, les questions sont multiples et complexes. Il est certain que nos modes de vie et nos procédures en seront bouleversés. En réalité, plus des trois quarts des consommateurs européens et américains déclarent aujourd’hui ne pas souhaiter acheter des voitures complètement autonomes de niveau 5, même si beaucoup d’entre eux ont adopté sans problème des voitures semi-autonomes de niveau 2. Cependant, même si ces accidents très médiatisés sont spectaculaires, les voitures autonomes devraient augmenter la sécurité routière des consommateurs et réduire les accidents (car 95 % des accidents sont dus à une erreur humaine ; UE, 2019).

Nos recherches [1] permettent de mieux comprendre les facteurs favorisant l’adoption et les réticences. Pour cela, nous avons conduit des expérimentations en France et en Allemagne avant et après conduite d’une voiture semi autonome de niveau 2, et après conduite d’une voiture simulée complètement autonome de niveau 5. Les résultats sont frappants.
La captation des données personnelles dans un but commercial, voire malveillant, figure au premier rang des inquiétudes. En Europe et aux États-Unis, deux personnes sur trois pensent que les technologies connectées sont utilisées par des entreprises ou des États pour les espionner. Et effectivement, des failles de sécurité et au moins un appareil connecté vulnérable aux cyberattaques mettraient toute la voiture en danger. La crainte de l’intrusion dans la vie privée augmente après le passage de conduite d’un véhicule semi-autonome à un niveau d’autonomie 5, ce qui peut influencer négativement l’intention d’achat.

La fiabilité de ces voitures autonomes est également cruciale. Déléguer à des machines, comme pour les voitures autonomes, le contrôle de son environnement immédiat inquiète. Et pourtant, le passage de conduite du niveau 2 à 5 augmente la fiabilité perçue, ce qui semble confirmer que les consommateurs sont bien conscients que 95 % des accidents sont dus à une erreur humaine, et que la conduite en voiture complètement autonome augmenterait leur sécurité. Se sentir en sécurité est central. Les consommateurs apprécient de pouvoir être alertés en cas de problème, et que la voiture prenne la bonne décision en cas de situation critique pour sauver des vies.

En revanche, nos recherches montrent que les utilisateurs potentiels attendent des voitures autonomes une « vie plus facile », ce qui semble être confirmée par l’augmentation de la fonctionnalité perçue, qui rend la conduite plus ergonomiques en passant du niveau 2 au niveau 5.

Dans le même sens, la facilité d’utilisation des voitures autonomes est également un facteur important qui, pourtant, décroit en passant d’une conduite de niveau 2 à un niveau complètement autonome pour influencer négativement l’adoption. Aussi, la performance de conduite est cruciale, et celle-ci augmente en passant d’une conduite de niveau 2 à un niveau complètement autonome pour influencer positivement l’adoption.

Un résultat important est le focus du véhicule autonome sur le bien-être physique, hédonique et psychologique pour l’adoption des voitures autonomes. À côté de la sécurité routière, le réglage automatique de la température et de la lumière en fonction des activités des conducteurs, le maintien d’une bonne qualité de l’air, sont par ailleurs considérés comme des éléments de confort importants, ainsi que la personnalisation des offres de divertissement. Les consommateurs sont aussi nombreux à envisager de se faire relayer par des automates pour effectuer leurs listes de courses et passer commande. Autant de corvées supprimées permettant de gagner un temps précieux au quotidien pour augmenter le bien-être, concept central de la conduite dans les voitures autonomes. Le niveau de bien-être perçu reste stable en passant d’un niveau 2 au niveau 5.

Avant que la voiture autonome destinée aux particuliers arrive sur le marché, il est fort probable qu’elle soit utilisée dans des situations plus maîtrisables comme les transports de marchandises ou des navettes publiques, avec un même chemin répétitif (comme c’est déjà le cas sur le parking de l’Oncopole). Pour sa commercialisation, certaines sociétés évoque 2025. En conclusion, nous confirmons les études sectorielles et voyons que le marché des voitures complètement autonomes n’est pas encore tout à fait prêt, car les utilisateurs potentiels perçoivent encore trop de risques notamment liés à la vie privée et à la vulnérabilité aux cyberattaques. Cependant, les facteurs liés au bien-être peuvent contrebalancer ces effets négatifs. C’est seulement en répondant à ce type de demandes, d’apparence futile, par des solutions véritablement sécurisées, mettant en avant le bien-être et l’hédonisme, que le marché des voitures autonomes parviendra à décoller, optimisant peut-être à terme, la consommation d’énergie, la gestion des émissions de CO2, le blocage dans des embouteillages, la performance, et le bien-être.
Lars Meyer-Waarden
Crédit photo : Jacques Sierprinski.

Lars Meyer-Waarden est professeur agrégé des Universités et responsable du Master International Marketing of Innovation à Toulouse School of Management (TSM-R CNRS) Université Toulouse Capitole

Notes

[1Meyer-Waarden L. & Cloarec J. (2021) “Baby, you can drive my car” : Psychological antecedents that drive consumers’ adoption of AI-powered autonomous vehicles, Technovation.
Pavone, G., J. Cloarec, M. Kuhn, L. Meyer-Waarden, A. Munzel (2022). "Now, take your hands from the steering wheel ! How trust, well-being and privacy concerns influence intention to use semi- and fully autonomous cars" 38ème Congrès international de l’ Association Française de Marketing (AFM), Tunis.

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Source : https://www.touleco.fr/La-voiture-autonome-entre-enthousiasme-et-reticence,35670