Pourquoi souhaitez-vous aborder la place de la femme dans la profession ?
Je trouve fondamental de rappeler que les femmes sont parfaitement légitimes à prendre la tête de beaux cabinets, car le plafond de verre perdure. Chaque avocate, qu’elle soit jeune collaboratrice, expérimentée ou associée, doit être consciente qu’elle a parfaitement sa place.
Les choses progressent au niveau des instances : l’Ordre est désormais complètement paritaire, nous avons une bâtonnière, et une autre avant elle. Mais sur le terrain, la légitimité d’une avocate s’acquiert encore trop souvent avec l’ancienneté, alors que les hommes l’obtiennent, ou semblent en tout cas la ressentir, dès le départ.
Comment se manifeste le sexisme dans le monde des avocats d’affaires ?
Je n’ai jamais eu l’impression que l’on me donnait des dossiers moins importants au prétexte que j’étais une femme. En revanche, j’ai pu ressentir que certains hommes hésitaient à travailler avec une femme ou adoptaient une attitude condescendante. Je me suis souvent dit : “On ne m’aurait jamais parlé comme ça si j’avais été un homme.”
Je me souviens d’un rendez-vous de signature très formel. L’un des hommes présents a interrompu la séance pour lancer : « Arrêtez tout, Olivia a mis du rouge à lèvres ! » À l’époque, je n’avais pas l’aplomb pour répondre ; aujourd’hui, je ne laisserais plus passer ça. Heureusement, ce type de remarques se raréfie et, moi, je n’en souffre plus du tout depuis que j’ai mon entreprise et mes partenaires.
La maternité est au cœur des enjeux...
Un préjugé a la dent dure : celui qui voudrait qu’une femme qui devient mère serait moins disponible et moins efficace. Ces considérations n’ont plus lieu d’être, qu’elles viennent d’un supérieur ou d’un client. Il n’est plus acceptable qu’en 2025 une femme doive refaire ses preuves après un congé maternité.
Il subsiste aussi un problème organisationnel : certains cabinets valorisent encore les horaires “sacrificiels” où un bon collaborateur finit après 20h tous les soirs. Lors de ma première grossesse, j’étais collaboratrice et j’ai senti que je ne pourrais pas trouver ma place en tant que mère. J’entends autour de moi que les retours de congé maternité sont souvent d’une violence rare, au point que toutes mes amies avocates ont été, d’une manière ou d’une autre, poussées vers la sortie.
Vous aussi avez choisi de créer votre propre structure. Était-ce la solution ?
Pour moi, cela l’a été. Ma deuxième grossesse n’était pas simple, car je venais de me lancer. Mais je ne le regrette pas, car devenir ma propre patronne m’a offert une liberté inestimable : j’organise mes journées comme je l’entends, je décide du volume de travail que j’accepte, je peux laisser de la place aux urgences sans sacrifier ma vie familiale. Je place mon curseur où je le souhaite.
Observe-t-on une évolution générationnelle dans les cabinets ?
Oui, clairement. Les jeunes avocats et avocates n’ont pas honte de partir à 18 h, ils préservent du temps pour le sport ou leur vie personnelle. On voit moins de “bons petits soldats” prêts à tout sacrifier. Cest très positif : cela pousse la profession à revoir ses exigences et à devenir plus compatible avec la vie réelle.
Comment faire pour que le sujet n’en soit plus un ?
Le mentorat pourait être une piste d’action. Et, selon moi, la communication reste la clé : on pourrait organiser des journées à thèmes pour mettre en lumière les femmes avocates et cheffes d’entreprise… Ce serait bien, oui, que la place des femmes devienne un non-sujet ! Et que les jeunes avocates qui ont envie d’entreprendre ne se sentent plus obligées de rester d’abord collaboratrices pendant dix ou quinze ans.
Propos recueillis par Marie-Dominique Lacour
Photo : Olivia Guibert, avocate en droit des affaires à Toulouse. Crédit : Hélène Ressayres-ToulÉco.
