« Tout est parti d’ici », le film sur l’or noir perdu du Comminges crève l’écran

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Leur documentaire Tout est parti d’ici est le premier à retracer l’histoire de la découverte du gisement de gaz et de pétrole de Saint-Marcet, en 1939, près de Saint-Gaudens, dans le Comminges. Virginie Mailles Viard, ancienne journaliste de ToulÉco, aujourd’hui chargée de mission à la Région Occitanie, et Vincent Barthe, documentariste et réalisateur, livrent les coulisses de ce film qui a réveillé la mémoire de la population locale.

Comment est née l’idée de ce documentaire ?
Virginie Mailles-Viard : Tout est parti, en 2015, d’une collègue journaliste de ToulÉco qui m’a demandé pourquoi j’étais allée me perdre au fin fond de la Haute-Garonne. Cela m’a piqué terriblement et je suis rentrée en râlant sur le fait de devoir travailler à Toulouse tout en vivant dans le Comminges. Vincent m’a alors appris que, dans le Comminges justement, il y avait eu du travail, et même beaucoup, parce qu’on y avait trouvé du pétrole et du gaz avant la Seconde guerre mondiale et que la RAP, Régie autonome des pétroles, ancêtre d’Elf, qui se fondra plus tard dans Total, y était née. Je suis revenue à la rédaction de ToulÉco en parlant de cette histoire. Une autre collègue m’a dit « Vas-y fonce, fais le sujet. »
Vincent Barthe : De mon côté, j’ai grandi à Martres-Tolosane, près de Boussens, où était installée l’usine de dégazolinage qui comptait plus de mille salariés. Quand j’avais 7 ou 8 ans, on parlait de ceux qui « étaient au pétrole » ou qui « allaient au pétrole ». On savait qu’ils gagnaient bien leur vie.
V. M.-V. : Au même moment, j’étais en Afrique, au Gabon puis en Norvège. Mon père travaillait sur des plates-formes pétrolières. Bien plus tard, j’ai rencontré Vincent et, en 2010, nous avons acheté notre maison dans le Comminges. C’est là que j’ai fait le lien avec ma propre histoire. Le propriétaire de la maison avait lui aussi été dans le pétrole. Dans le sous-sol, on a trouvé de grandes armoires classées par ordre alphabétique avec des tiroirs et, à la lettre C, nous avons découvert des cahiers de forage. C’était autour de nous ! On faisait un pas et l’histoire du pétrole était là.

Revenons-y justement…
V. B. : Tout a commencé dans les Petites Pyrénées [1], dont les courbes intriguaient les géologues depuis les années 1920. Ils y voyaient des analogies avec les champs pétrolifères de Californie. La découverte du gisement de gaz et de pétrole a lieu dans la nuit du 13 au 14 juillet 1939. La RAP, Régie autonome des pétroles, a été créée par l’État dans les jours qui ont suivi mais le site n’est entré en production qu’à partir de 1941. L’histoire de la RAP est intimement liée à la Résistance, car ses dirigeants ont mené un double jeu pour éviter que les Allemands ne s’emparent du pétrole commingeois tout en faisant en sorte d’alimenter Toulouse en gaz. Ils y ont très bien réussi jusqu’en 1944, jusqu’à ce que Pierre Angot, président de la RAP, se fasse rafler. Il a fini sa vie dans une mine de sel après avoir transité par Buchenwald. À la Libération, Saint-Marcet a été un espoir pour la France qui devait se reconstruire.

Vous parlez pourtant d’une histoire enfouie, effacée ?
V. B. : On se demande toujours comment ce passé industriel a pu être oublié alors qu’il n’est pas si lointain. Il ne s’est arrêté définitivement qu’en 1998, avec le transfert définitif des installations de Boussens, site historique et berceau d’Elf Aquitaine, à Lacq, dans les Pyrénées-Atlantiques. Notre projet était de regarder l’histoire depuis son point de départ, de façon chronologique. On s’est aperçus que pour les gens qui travaillent sur le site de Lacq, l’aventure pétrolière française a débuté à Pau... Pourtant, tout est parti d’ici. L’histoire d’Elf a commencé avec la RAP. Le groupe industriel a ensuite été privatisé et absorbé par Total. Mais Total, dans son arbre généalogique, essaie d’effacer tout ce qui concerne Elf, sans doute parce que son histoire est entachée de scandales financiers. Le groupe a d’ailleurs refusé de nous donner accès à ses archives.
V. M.-V. : En faisant des recherches sur les plates-formes numériques Persée et Gallica, je me suis rendue compte que rien n’avait été écrit sur cette histoire, que nous étions devenus les experts de ce sujet. Pas un universitaire ne s’est penché sur la découverte du pétrole de Saint-Marcet et sur la RAP, qui est devenue Elf. Dans ce film, nous avons voulu conjuguer les témoignages, la mémoire locale avec la grande histoire nationale et internationale du pétrole et ce travail nous a permis de mettre en avant ce qui s’est passé ici et comment ce gisement a donné lieu à une si grande aventure.

Comment avez-vous procédé pour documenter cette épopée pétrolière ?
V. M.-V. : Nous avons mené un travail d’enquête en filmant aussi les interviews que nous menions pour notre sujet dans ToulÉco. Je suis d’abord allée au Pinat, dans l’ancien village des foreurs que reconstruit Jean Magnouac. Il n’est pas un enfant de foreur mais, petit, il a vu tous ces gens, des paysans à l’origine, s’enrichir et vivre mieux en travaillant dans le pétrole. Jean Magnouac m’a donné des noms et, de fil en aiguille, nous avons constitué une série de personnages qui ont tous un point commun. Ils n’avaient quasiment pas fait d’études mais se sont retrouvés dans l’aventure pétrolière, sont partis dans le Sahara pour découvrir les gisements algériens et ont fait la prospérité du groupe industriel public Elf. Durant mes déplacements entre Saint-Gaudens et Toulouse, je parlais beaucoup de mon enquête à mes copines de train. Elles sont revenues petit à petit en me disant : « En fait, mon père, mon oncle, mon grand-père ... », les unes avec des boutons de manchettes de la RAP, les autres avec des objets, des souvenirs... J’ai réalisé que tout était là, que j’avais d’une certaine façon réveillé une mémoire. Les gens ne se rappelaient pas, ne mesuraient pas qu’ils avaient été des pionniers de la prospection pétrolière française.

Le film est sorti en salle le 18 septembre. Comment a-t-il été accueilli ?
V. M.-V. : Pour l’avant-première à Saint-Gaudens, le cinéma Le Régent a dû ouvrir une seconde salle car il y avait trop de monde. Les prochaines dates programmées sont le 12 octobre à Montréjeau, le 12 novembre à Luchon et le 21 novembre à Pau. Une dame qui a passé une grande partie de sa vie au village des foreurs et dont le père était très actif dans la Résistance, nous a remerciés pour notre travail et notre persévérance « pour ne pas laisser mourir cette époque avec ses joies et ses peines, cette époque de labeur qui a assuré le bien-être à tous », écrit-elle. C’est représentatif de nombreux témoignages que nous avons collectés.
Recueilli par Johanna Decorse

Sur les photos : Le gaz a jailli dans la nuit du 13 au 14 juillet 1939, sur la colline du Pinat, entre Aulon et Saint-Marcet, dans le Comminges. Crédit : Vincent Barthe. // L’équipe du film « Tout est parti d’ici », les documentaristes Virginie Mailles-Viard et Vincent Barthe et le monteur, Gilles Pedoussaut. Crédit : DR.

P.S. :

Le documentaire Tout est parti d’ici sera projeté en présence de l’équipe du film le 12 octobre, à 17h, au cinéma Les Variétés, à Montréjeau, le 12 novembre à 20h15 au cinéma Le Rex, à Luchon et le 21 novembre à Pau.

A l’occasion de cette sortie en salles, ToulÉco remet dans ses Archives spéciales Dossiers ce reportage publié dans la version magazine en 2015.

Notes

[1Un petit massif pré-pyrénéen entre l’Ariège et la Garonne

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Source : https://www.touleco.fr/Tout-est-parti-d-ici-le-film-sur-l-or-noir-perdu-du-Comminges,48412