« Si les hommes prenaient en charge leur santé mentale, les femmes économiseraient du temps et de l’argent »

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La journaliste Maud Le Rest est l’autrice de Tu devrais voir quelqu’un : une enquête sur le rapport des hommes à la santé mentale. Elle est l’une des invitées de Futurapolis Planète, événement organisé par le magazine Le Point et interviendra le samedi 13 novembre à la Toulouse School of Economics (TSE). Elle revient pour nous sur l’écriture d’un ouvrage qui questionne les difficultés pour les hommes de pousser la porte d’un psychologue ou d’un psychiatre.

Maud Le Rest, cela a-t-il été difficile de proposer et d’écrire un livre sur la santé mentale des hommes ?
C’est mon deuxième livre. J’avais déjà un éditeur que j’ai réussi à convaincre assez vite de la pertinence du sujet. Cela aurait sûrement été plus difficile si cela avait été le premier. Il est dans une forme de continuité par rapport à mon précédent ouvrage, coécrit avec Eva Tapiero. Les Patientes d’Hippocrate, quand la médecine maltraite les femmes était consacré aux biais sexistes du monde médical. Nous avons démontré que les femmes sont moins bien soignées que les hommes. Cela m’a amené à m’intéresser à la santé des hommes, puis à leur santé mentale, et on se rend vite compte que c’est là que ça coince. Le livre va au-delà de la santé mentale, il aborde la gestion des émotions et aussi les différentes incarnations de la masculinité dans la pop culture (séries, films, etc.). Les hommes et les femmes sont venus assez facilement vers moi pour se confier. J’aurais aimé avoir un peu plus de temps pour avoir des témoins plus âgés et pour interroger des hommes ouvertement masculinistes et misogynes afin de tenter de comprendre leur cheminement de pensée.

Dans votre ouvrage, vous montrez bien que l’on a fait du psychologique une tâche associée au féminin. D’où la difficulté des hommes à s’intéresser à cette question ?
Oui, totalement. Il y a la peur d’être jugé et de ne pas être considéré comme un vrai mec par les autres hommes si on s’y intéresse. Je me sers dans le livre du concept de « masculinité hégémonique », théorisé dans les années 90 par la sociologue australienne Raewyn Connell dans son livre Les Masculinités. C’est le cadre pur et dur de la masculinité. Il s’agit d’être un homme hétérosexuel, fort physiquement et mentalement, dans une forme d’attitude stoïque où l’on ne pleure pas et où l’on montre peu ses émotions. Il faut viser la puissance et la richesse. Aller chez le psy, c’est accepter qu’on ait des faiblesses. C’est donc ne plus correspondre tout à fait à ce modèle hégémonique classique, c’est être dans une forme de renoncement à ce fantasme caricatural de masculinité.

Il y a aussi l’idée, chez beaucoup d’hommes, qu’aller chez le psy, ce n’est pas utile car ce n’est pas une action dont on peut être sûr de l’efficacité...
On apprend aux hommes à avoir un rapport utilitariste à toutes choses. C’est revenu plusieurs fois dans les témoignages : “j’ai essayé une fois ou deux d’aller chez le psy mais ça n’a pas marché donc j’ai arrêté”. Il y a pourtant plein d’hommes qui ne sont pas dérangés par le fait d’aller plusieurs fois par semaine à la salle de sport pendant de longs mois, voire des années. Car ils comprennent qu’améliorer sa condition physique, cela prend nécessairement du temps. Mais pour le psychologique, ils acceptent difficilement ce temps long. Les bénéfices sur le physique, on peut les montrer aux autres, contrairement aux bénéfices sur la santé mentale.

Dans l’ouvrage, vous montrez qu’ils ont pourtant plus à perdre à ne pas s’occuper de leur mental...
Même si on ne pense que sous le prisme de la performance, ce n’est pas un bon calcul du tout de négliger sa santé mentale. Du manque de travail psychologique et émotionnel va naître un tas de problèmes. Un homme qui va mal va avoir tendance à avoir des conduites à risque (alcool, drogues), à commettre des violences conjugales et/ou des violences sexuelles. Cela peut avoir des impacts financiers et juridiques conséquents. C’est plus reposant et rentable de prendre le temps de l’introspection.
Les femmes y gagneraient aussi pas mal. Elles représentent 70 % des consultations chez les psys. La majorité de ce temps est consacrée aux problèmes relationnels avec les hommes de leur entourage. Si les hommes prenaient en charge leur santé mentale, elles économiseraient sûrement du temps et de l’argent.

Sur les réseaux sociaux et sur les grand médias appartenant à des milliardaires d’extrême droite, la parole masculiniste se répand. Le souci de la santé mentale masculine fait donc face à de redoutables adversaires. Les jeunes sont-ils sensibles à ces discours très réactionnaires ?
Les idées masculinistes gagnent du terrain chez les jeunes. Une partie de la jeunesse est vraiment séduite par des discours rétrogrades et misogynes. Les derniers rapports du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes le montrent. Sur les réseaux sociaux, en particulier TikTok mais aussi Instagram, ces rhétoriques se développent. Il y a une forme de retour de bâton après une plus grande visibilité des mouvements féministes et anti-violences sexuelles dans le sillage de #Metoo. Nous sommes dans une bataille culturelle où il est encore difficile de voir quelle vision du monde va s’imposer majoritairement dans le long terme. Certains jeunes hommes sont vraiment plus progressistes et soucieux de leur santé mentale, d’autres au contraire sont tentés par des discours très conservateurs qui les poussent à ne pas se préoccuper de leurs états d’âme ou à en rejeter la responsabilité sur les femmes. Et pleins de jeunes hommes sont quelque part entre ces deux pôles. Il faut vraiment être dans la nuance quand on décrit l’état d’esprit de la jeunesse sur ces sujets.
Propos recueillis par Matthias Hardoy

Sur la photo : La journaliste Maud Le Rest, autrice de Tu devrais voir quelqu’un : une enquête sur le rapport des hommes à la santé mentale, aux Éditions Anne Carrière. Crédit : Photo Abigaïl Aupérin-Éditions Anne Carrière-Futurapolis Planète.

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Source : https://www.touleco.fr/Maud-le-Rest-Aller-chez-le-psy-c-est-accepter-de-ne-plus,48854