Pourquoi Shein pose un tel problème ?
Le sujet n’est pas seulement Shein, Temu ou encore Ali Baba en tant que marques. On dénonce surtout l’injustice du système : en Europe, les colis valant moins de 150 euros sont exonérés de toute taxe fiscale et douanière. Et de fait, ils passent sous les radars, et personne ne vérifie qu’ils respectent les règlementations européennes en matière de qualité et de durabilité.
Les chiffres donnent le tournis : 600 avions arrivent chaque nuit en Europe pour livrer des produits chinois, 40 % des Colissimo sont étiquettés Shein... Et en prime, vous craignez que la situation n’empire ?
Il est certain que le problème va s’accentuer, notamment à cause des taxes mises en place par l’administration Trump, qui va conduire les Chinois à se recentrer sur le marché européen pour compenser la baisse. On le voit déjà : en avril, Temu et Shein ont accru de 35 % leur budget publicitaire. Ce n’est certainement pas pour rien.
Quelles sont les conséquences concrètes du phénomène sur les entreprises locales ?
Il ne s’agit plus simplement de concurrence déloyale, on est carrément sur une autre planète ! La Fédéo compte une cinquantaine d’adhérents, très divers - quelle entreprise, aujourd’hui, peut se passer de vendre en ligne ? - et la situation impacte tout le monde. L’industrie française est à l’agonie ; dans le commerce aussi, c’est l’hécatombe : depuis 2010, le secteur de la distribution non-alimentaire a perdu 50.000 emplois. En Occitanie, on estime que plus de 8000 emplois, directs ou indirects, sont menacés.
Avez-vous tenté d’interpeller les pouvoirs publics ?
Bien sûr ; c’est le rôle de l’État que de remettre en place les conditions d’une concurrence équitable. Nous avons envoyé un courrier à la présidente de Région Carole Delga en décembre. Il est resté, à ce jour, sans réponse. En revanche, deux sénateurs d’Occitanie, Marie-Lise Housseau (Tarn) et Jean-Jacques Michau (Ariège), ont accepté de porter le sujet. La ministre du Commerce, Véronique Louwagie, a promis qu’un texte de loi serait examiné avant l’été. Mais pour l’instant, rien ne bouge vraiment.
Prévoyez-vous des actions communes avec les autres fédérations, comme celle du prêt-à-porter qui milite très activement contre Shein depuis plusieurs mois ?
Non, mais, bien évidemment, nous partageons les mêmes problèmes, les mêmes convictions et nos initiatives poussent dans le même sens.
Que proposez-vous pour sortir de cette spirale ?
Il faut taxer dès le premier euro. Si les États-Unis l’ont fait, on peut le faire. Loin de moi l’idée d’ériger Donald Trump en modèle, mais le fait est qu’il a montré que ce n’est pas compliqué. En Europe, on nous oppose souvent des arguments techniques, juridiques, des risques géopolitiques... mais en réalité, il s’agit simplement d’un choix politique.
En parallèle, nous, entreprises françaises, devons travailler sur nos modèles économiques et construire des marques fortes. Puisque rivaliser sur le prix n’est pas une option, il faut travailler l’expérience consommateur. Plutôt qu’un produit, vendre un service, un style de vie.
Propos recueillis par Marie-Dominique Lacour
Sur la photo : Jean-Paul Crenn, président de la Fédération du e-commerce en Occitanie. Crédit : Hélène Ressayres-ToulÉco.
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